Repose-toi un instant, voyageur, et contemple avec nous les brumeux mystères de l’aube dans la vallée de la Dordogne. C’est à Sarlat, dans les hauteurs collineuses, que tout commence. Ici, vois le paysan soigner sa terre, la terre dont il tire la subsistance et qui lui donne tant qu’il lui donne. Car de même que la ruche qui produit le miel n’a nul besoin de l’Homme qui n’en est que le gardien, de même la terre produit-elle elle-même la richesse dont nous jouissons. C’est là l’expression de la sagesse paysanne, que de savoir ne pas intervenir en superflu.
Ce que tu vois faire, voyageur, c’est ce que le métayer faisait alors qu’Henri II d’Angleterre était duc d’Aquitaine. C’est que le paysan est un être historique, comme la terre qu’il travaille, et l’histoire qu’il raconte mérite d’être écoutée et respectée parce que c’est elle qui nous donne les clefs du présent et la foi en l’avenir. Ainsi pratiquons-nous une agriculture dite biologique, que nous n’identifions que comme un retour à l’agriculture d’autrefois.
Là, regarde les bêtes courir et sauter, insouciantes et libres. C’est notre grain qui la nourrit. Elles mangent et boivent quand elles veulent manger et boire, elles rentrent et sortent quand elles veulent rentrer et sortir. Qui sommes-nous pour les contraindre ? Le paysan est homme de sagesse, il sait que son rôle est celui du nourricier et du protecteur, bien plus que celui du producteur et du transformateur. Sa main guide, mais ne force pas. La bonne volaille ne peut qu’avoir bien vécu.
Et voici que nous nous mettons en route, nous les paysans, les rustauds, les campagnards. Nous nous rendons à la Ville, car c’est la Ville qui permet la jonction entre les deux mondes : le monde des Dieux, de la puissance divine de la nature, et le monde des Hommes, leur habitat. Il y a bien des siècles déjà, c’était Paris qui était la Ville, c’était Paris dont les halles se remplissaient au petit matin de tout ce que la campagne française produisait pour elle, alors que les charrettes payaient l’octroi et passaient l’enceinte de Philippe-Auguste. Sur les marchés, nous retissons chaque semaine le lien qui lie la Campagne à la Ville, un lien de vie qui nous rappelle à tous combien nos destins de ruraux et d’urbains sont indissociables.